18 mai 2010

Mon père, cet étranger..

Depuis longtemps, mon modèle amoureux était mes parents.

Je ne pense pas être comme tous ces enfants qui ne comprennent pas lorsque leurs parents se séparent, alors qu'il y avait des signes avant coureurs.

Je ne suis pas la seule qui pensais que eux deux, ils n'étaient pas comme les autres, qu'ils étaient trop bien ensemble et que plus rien ne pourraient les atteindre après ce qu'ils ont vécu ensemble et avec l'amour et l'admiration mutuels qu'ils se portent.

J'en riais, plus jeune, leur disant qu'ils se suffisaient à eux-mêmes, et qui explique pourquoi ils n'ont pas beaucoup d'amis.
Je plaisantais sur le fait que les enfants partis, ils seraient tranquilles à siroter leur verre de vin et à tirer sur leur clope respective.
Je niais la possibilité qu'ils rencontrent quelqu'un même lorsqu'eux mêmes me disaient que personne n'était à l'abri, même pas eux.

Moi et mes foutus piédestaux...
On ne peut que s'en casser la gueule !


Mon père l'a fait admirablement bien.
Fin février, en fin d'après-midi, je reçois un appel de la maison et m'attend à tomber sur ma mère. Loupé !
Déjà je tique. Bizarre...

Il me demande où je suis, si je suis toute seule, me dit qu'il aurait aimé me dire ça autrement.
Je pense immédiatement à ma grand-mère.

"Je quitte la maison". Première tarte dans la gueule.

"J'ai rencontré quelqu'un". Deuxième claque dans la face.

Je suis abasourdie, reprend mes esprits et me rappelle qu'il reste mon père quoiqu'il arrive. Lui demande comment va ma mère.

"Elle m'aime, elle m'attend". Douche froide.

Je n'arrive même pas à être en colère, je suis trop atterrée. Je lui lâche quand même : "J'espère qu'elle en vaut la peine".

"Pour moi oui..." d'un ton penaud. Là c'est moi qui ai envie de lui mettre une torgnole.

Puis gros blanc et d'une voix craintive : "Je sais la peine que je vous fais à tous. J'espère que vous ne m'en voudrez pas et que l'on pourra rester en contact".

"Rester en contact" !!! C'est quoi ? La fin d'une colo ? On s'échange nos adresses mais on sait que l'on ne se reverra jamais ??

On finit par raccrocher, il doit appeler encore un de mes frères...
Lorsque je peux enfin voir l'écran de mon téléphone clairement, je textote mon petit frère et m'enquis de savoir comment il va.

Mal.

Evidemment.

Il finit par quitter son boulot. Lui est catégorique. Il a "de la haine pour Papa". Redoublement de larmes. Je lui répète les propos de mon père, il ne sait pas s'il reviendra.
"Et ben ça serait pire !"

Mon grand frère est anéanti, lui, l'aîné, ne comprend pas que ses parents se séparent alors qu'il a 28 ans, le plus souvent on est encore gamins lorsque ça arrive. Là ils avaient fait le plus dur, c'était sensé rouler tout seul.
Il pense déjà aux prochains Noëls et repas de famille.

Illumination. Sanglots violents.

Je me retrouve toute seule dans notre grand appart', aucun coloc' et c'est tant mieux.
Je me mets en pyjama, ferme les volets et me blottis sous ma couette. Position foetus à la con.

Ma coloc' finit par monter. Elle aussi pense à ma grand-mère (la pauvre...) en voyant ma tête et surtout mes yeux qui semblent avoir subi des injections de collagène.
Elle est maladroite mais je n'aurais pas fait mieux.
Mes parents étaient venus me voir ensemble une semaine plus tôt... Elle n'a rien remarqué d'anormal.

Moi non plus. Et ça me tue ! J'ai pensé que ma mère était juste très fatiguée. Tu m'étonnes ! A garder ça pour elle pendant 2 mois..!
C'est elle qui a voulu venir me voir à deux, histoire de le garder un peu plus longtemps avec elle et parce que ça faisait un moment qu'ils devaient venir découvrir mon nouveau lieu de vie où je me sens bien...

Il ne voulait pas nous gâcher les fêtes...
Alors ça veut dire que ça dure depuis longtemps ? On décide pas du jour au lendemain de quitter sa femme et ses 4 enfants...

J'aurais aimé dormir pendant les 24 heures suivantes. Ne plus penser. Ne plus imaginer les pires choses. Ne plus se remémorer des souvenirs et y voir plus clair. Ne plus analyser. Ne plus s'en vouloir de n'avoir rien senti.

Et encore rien senti..! Ma mère m'a raconté qu'une fois, je faisais plein de vannes du genre :" Maman tes fondants sont trop bons, t'es vraiment l'épouse parfaite !"
Mon père était mal, ma mère le consolait à cette époque...

Ma mère a perdu 11 kilos. Je me suis retenue de pleurer lorsque je l'ai vue en débardeur.
Somnifères et anxiolytiques.

Mon aîné de frère qui n'habite pas loin, tous les 2 soirs à la maison. Il l'a vu dans des états... A ne pas pouvoir se lever. Le médecin qui s'est déplacée.
Mon frère est mal. Il voit le comportement de mon père et il est énervé.

Mon père ne nous a pas rappelés. Quelques textos ou mails pour ma part, parce que je lui écrivais ou parce que j'avais des partiels ou besoin de paperasses...
Il a peur je pense.
Mon grand frère s'approche dangereusement de l'âge où l'on veut avoir des enfants. Son modèle paternel s'est cassé la gueule avec fracas. Je n'ose imaginer son état actuel.

Mon autre grand frère est à Lyon mais est descendu plusieurs fois. Il s'en veut de ne pas être descendu avant. "Tu n'as rien à te reprocher, ça n'aurait rien changé, tu n'aurais rien remarqué. Ils sont venus en Corse pendant une semaine ! Je n'ai rien vu...!" lui ai-je rétorqué.

Je comprends mieux pourquoi ma mère a fondu en larmes lorsqu'elle a appris qu'il quittait sa copine...

Et enfin mon petit frère évite le sujet. J'ai essayé de l'aborder mais il m'a répondu fermement qu'il n'en avait pas envie.
Déjà lorsque je suis rentrée en avion le lendemain de l'annonce paternelle, il n'est pas rentré à la maison avec nous, il ne s'en sentait pas le courage. Pas assez fort pour voir ma mère. Il nous a quand même rejoints à l'aéroport quelques minutes.

Scène atypique d'une famille bouleversée dans un aéroport... Se forçant à boire quelque chose car la faim n'était vraiment pas là.
Se retenant de pleurer tous ensemble, tentant de ne pas trembler à chaque phrase, à chaque geste.


Je ne reconnais plus mon père.
J'ai fini la fac et je suis en stage. Je devais déménager.
Il m'a demandé comment j'allais faire lorsque je lui ai demandé de m'envoyer des papiers.
J'avais déjà tout prévu avec ma mère.

Avant il s'en serait soucié avant et aurait pris des jours pour m'aider.
Avant il me l'aurait demandé un mois à l'avance.

"Ton père vit une vie de château pendant que moi je fais du camping en Corse avec toi ! Il ne cache même pas ses dépenses, je peux le suivre à la trace ! Restos à gogo, chaussures à 80 €..."

J'entends des choses que je ne devrais peut-être pas entendre mais tant pis ! Lorsque l'on vit ce genre de choses, on grandit plus vite. On acquiert un statut qui fait que notre mère peut se confier à nous.

Ma mère n'a plus peur de rien, ou de pas grand chose. Le vide. Pfff ! La vitesse. Bah..
La censure s'est envolée un petit peu. J'ai parlé de sexe avec elle.
Elle fait des efforts et arrive à nous dire "Je t'aime".
Elle me répète au téléphone que "heureusement on est là, qu'elle tient grâce à ses formidables enfants."


J'ai passé plus d'une heure en voiture avec mon père la semaine suivante, car je lui ai demandé de me ramener à l'aéroport.
On a du parlé pendant 10 minutes, dont le principal pour savoir si je voulais manger quelque chose à l'aéroport.
Qu'il nous aime et qu'il est là si on a besoin. Qu'il est rassuré que l'on ne le juge pas et que l'on ne soit pas en colère. Qu'on ne le rejette pas.

Il se chie ! et ça m'énerve !!! Son regard tout penaud, son dos voûté... J'avais envie de le secouer, de lui mettre une claque pour le réveiller !
Je ne le reconnais plus.
Je ne sais pas quoi lui dire si jamais il a l'illumination de m'appeler.
Profitant d'un échange de mail, je lui ai dit ce que j'avais sur le coeur :

"Hébergement et déménagement je me suis débrouillée. Tu ne t'en soucies que maintenant ? Mon Papa qui se pliait en 4 pour m'aider dans ce genre de tâches me manque. J'espère qu'il reviendra bientôt."

Il me semble que je reste ouverte, une fois de plus je ne le dénigre pas, ne le juge pas... Je lui demande de continuer à être présent dans ma vie.

Sa réponse :
"Difficile de s'en soucier à distance et quand il n'y a aucune demande mais je te fais confiance pour te débrouillardiser même dans ce genre de situation.
Je sais que je faillis à ma réputation de "perfection" dans tous les domaines, c'est la vie, tu me manques aussi et j'espère quoi qu'il arrive garder le contact. Si tu as besoin d'aide, de paroles, j'existe toujours".

Je ne lui ai pas répondu. Que dire ?
Il fait de la peine. Il n'a pas l'air d'assumer, il semble attendre que la foudre s'abatte sur lui et ne prend pas ses responsabilités.
Je lui ai dit au téléphone que je ne le jugeais pas, qu'il était toujours mon père. Mais encore faut-il qu'il continue à jouer son rôle !


Bref. Je me décide enfin à vider mon sac car ma mère m'a appelée ce soir à 22h. Je le sentais mal. Elle me demande si je peux lire un mail qu'elle va m'envoyer et me rappeler après.
Mon père lui a parlé de divorce.

Ce qui devait arriver a fini par arriver.
Il vaut mieux en fin de compte. Ma mère va pouvoir avancer. De toute façon elle ne le reconnaît plus. N'a plus l'estime qu'elle avait pour lui en tant que père de ses enfants. Il vit sur une autre planète.
Elle lui a reproché de nous abandonner. Il pensait qu'on l'appellerait...


Parfois je pense à tout ça et je n'arrive pas à réaliser. Le fait d'être loin, la réalité ne s'impose pas à moi au quotidien.
Et parfois je n'arrive pas à réaliser.
Mon père avec une autre.
Mon père qui ne dort pas à la maison.
Mon père qui sourit et fait des blagues à une autre.
Mon père penaud, crispé.

Franchement ça le rajeunit pas ! Si c'est la crise de la 50aine je ne suis pas sûre que le calcul soit bon. Apparemment pour lui ce n'est pas une erreur.
Je lui souhaite.