14 octobre 2006

Mes yeux sont secs... ou pas vraiment.

Mercredi après-midi je devais voir ma mère. Elle m'appelle à 7h45.
"_Papy est parti..."

Où ? De l'hôpital ? m'entends-je penser bêtement.

Non. Parti. C'est tout. Et il ne reviendra pas. J'ai mis du temps à le réaliser vraiment. A présent...

J'ai pas vraiment réfléchi, j'ai pris mon vélo comme prévu pour aller en cours. Quelques larmes semées sur le bitume. Puis arrivée à la fac je l'ai accroché et une copine est arrivée. Impossible d'empêcher mes larmes de se faire la belle. Et je n'ai prévu aucun mouchoir. Elle en a un. Merci puis je l'évite, suis incapable de lui expliquer ce qui ne va pas. Si j'ouvre la bouche les sanglots et les hoquets se bousculent dans ma gorge et je ne veux surtout pas que ça arrive, c'est tellement difficile de s'arrêter ensuite...

J'entre dans l'amphi, baisse la tête et vais me réfugier au dernier rang. Yo s'aperçoit de mon état. Je ne l'entends pas. Je n'ai pas envie de donner d'explications, je ne veux parler à personne.

Je fais la sauvage.

Je m'empresse de sortir du cours. Toute la matinée je baisse les yeux, évite soigneusement les gens.

Texto de Yo : "Je ne sais pas encore ce que tu as mais si tu as envie d'en parler, je suis là, on s'inquiète pour toi. On t'adore. Bisou"
J'apprécie. Si, si. Mais... Non. Je peux pas. Je n'ai pas envie. Je l'imagine venir vers moi toute gentille, dégoulinante de pitié, de compréhension. Je supporte pas. Elle m'appelle, je ne réponds pas.

Tiq m'envoie un texto plus brut de décoffrage : "Qu'est-ce qui va pas mon amour ? t'avais une sale tête ce matin ? Bizou de moi et sand ! la chance !" Je ne réponds pas non plus.

A midi et demie je ne sais pas quoi faire. Je vais manger avec les filles ? Surtout pas. Regards interrogateurs, questions peut-être, déversement interminable de larmes.
Je suis un peu paumée. Je plane. J'ai pas la force de rentrer en vélo. Mais il le faut. Que puis-je faire d'autre ?

J'appelle ma mère, pour savoir où elle en est, elle devait monter chez ma grand-mère. Ne plus dire chez Papy et Mamie... Elle y est, ça va. Je ne pense même pas à lui demander comment ça va. Je ne sais pas quoi dire, chaque mot me demande de l'effort pour ne pas pleurer et arriver à articuler un mot.

Obsèques vendredi matin à Embrun puis enterrement dans la Drôme.

Ensuite j'ai mon père au téléphone. On doit s'arranger pour que je rentre à la maison et parte avec mon frère ou lui. Il m'apprend que mon petit frère a mal encaissé la nouvelle. Je pleure de plus belle.

Je lui envoie un texto pour savoir comment il va, s'il veut que je l'appelle le soir. Il va pas bien, veut que je l'appelle, n'a rien dit à personne... Finalement il arrêtera les cours. "J'ai craqué".

Moi j'ai cours. J'ai quand même envoyé un texto à Yo pour la rassurer.
J'attache une fois de plus mon vélo, cette fois, je laissais aller mes larmes sur la route, les textos de mon petit frère m'ont fait trop de peine.
Je passe devant les filles, je sens Tiq arriver dans mon dos. Je n'ai toujours aucun contrôle sur mes larmes...
T'as eu un décès ou quoi ?
Hochement de tête.
Ton grand père ?
Hochement de tête. Larmes.
Tu veux qu'on reste ensemble après les cours ?
Balbutiements, oui, mais non, je sais pas, oui...

On me regarde bizarrement en cours mais aucune question. Merci. Je crois que je fais peur. J'veux dire, j'suis comme ma mère, la première impression qu'on a de moi est fausse. Je suis froide. On me craint, car quand je tire la gueule, il ne faut pas venir me voir, j'envoie chier tout le monde.
Mais j'fais un travail sur moi-même promis.

Là, pas envie. Vraiment pas. Egoïste. J'me le suis répété toute la journée. J'avais des pensées zarb' qui me faisaient culpabiliser.

Fin du cours, agglutinements des gens, je peux pas échapper à Yo. Ma puce, je suis désolée... viens j'te fais un bisou. Tu veux venir chez moi ? Refus catégorique. On va dormir ! Bon si tu veux passer y'a pas de soucis !
C'est vraiment la dernière chose que je voulais faire. Me morfondre chez elle recouverte de bisous et câlins...

Je vais chez Tiq. Elle m'a prévu un joint me dit-elle... C'est mignon. J'en avais pas forcément envie mais pourquoi pas ? Cela ne veut pas dire que je vais finir tox.

Je lui en parle. Mais elle a compris de quoi j'avais besoin. On rigole. Je culpabilise mais arrive à rire. On taille des shorts, notamment sur la niaiserie de Coke et Zep...

Elle me propose d'aller à la piscine avec elle. j'ai mal aux yeux et au front mais je fini par accepter. Je ne sais pas lui dire non... Et puis c'est un moyen de ne pas me retrouver seule dans mon appart', dernière chose dont j'ai envie.
De quoi ai-je envie ? Être tellement fatiguée en rentrant chez moi que je m'endormirais immédiatement. Ne pas avoir le temps de me passer les images devant les yeux encore et encore...

Le chlore m'achève les yeux, le trop de peuple m'achève le moral. Mais Tiq me fait rire. Elle a vraiment une sale gueule avec les lunettes ! Et à chaque rebord elle me sort une connerie. Le pire, elle me refait Foresti : "Ouurh ! Je te touche ! Je t'ébouriffe !" ça me stresse. Je manque de la taper... Finalement ja la coule.

Ensuite on va chez sa tante. J'ai mon petit frère au téléphone. Il est entouré ça va. Il rentre le lendemain soir. Petit moral. Il a du mal à le croire lui aussi. Puis Maman. Enfin "et ça va toi ?"
Petit silence puis petite voix : tant qu'on me parle pas de vous ça va... Papa a du lui raconter la réaction de mon petit frère. Je la rassure.

Mon grand frère viendra me chercher à mon appart' le lendemain soir et on montera tous les trois rejoindre mes parents, ma tante et mon oncle, et ma grand-mère.

Mission accomplie, je me couche fatiguée.

Le lendemain ça va mieux. Juste au tennis avec la fac, je manque de pleurer en m'apercevant que j'ai oublié ma raquette à mon appart'. Tiq m'en trouve une. Puis lorsque le prof m'emmerde, me demande de sourire en plus...

De retour à mon appart' je bosse mon histoire. j'ai un contrôle le mardi, j'ai pas révisé évidemment... Je suis concentrée, je pense à rien d'autre.

Dans la voiture avec mes frères, le plus vieux et le plus jeune. Je suis à l'arrière, personne ne parle. Seulement lorsqu'on arrive à la maison. On mange, je fume à ma fenêtre, on repart.
Cette fois-cu je suis devant et on parle. On s'échange nos dernières heures passées chacun de notre côté. Tous les deux aussi ont fait les sauvages et n'ont pas trop parlé.
Puis la discussion dérive, le ciné bien sûr... Le Petit s'endort derrière et pète aussi... ça va mieux.

A destination Mamie a des petits yeux, sûrement comme moi... Maman a l'air d'aller. Je suis super fatiguée, je dors sur le canapé, mes frères vont à l'hôtel.
Je suis perdue lorsque mon père me réveille le lendemain matin. Maman me donne les directives, je déjeune, me lave, m'habille. est-ce que je veux voir mon grand père pour la dernière fois ? non. Je veux garder une belle image de lui. Et je ne me sens pas capable.

Mon autre frère arrive avec le reste de la famille. Je recommence à pleurer. Je m'en veux. Je comptais m'occuper de mon petit frère, mais il s'en sort mieux que moi.

Cathédrale d'Embrun. Le cercueil arrive... Il m'a l'air petit, est-ce que j'idéalise mon grand père ? Ce pupille de la nation, qui a fait la seconde guerre mondiale, qui était porte-drapeaux, prof de ski... Notre plus grand regret sera sûrement de ne pas avoir consigné tous ses récits. Il a vécu tellement de choses. Battu petit, à traverser un bois pour aller chercher du pain à 5 ans...

Il était beau et fort, patient pour supporter ma grand-mère et vice-versa, souriant à table avec ses piques en patois, apprécié par les gens. J'étais fière de mon Papy. Je pouvais ! Je peux...

Ma tante a dit de très belles chose dans l'église. Comme quoi ils ont dit à ma petite nièce qu'il était chez les anges mais qu'elle savait qu'il était avec nous, dans les sourires, les gestes des gens de la famille... Mon frère par exemple. Il lui ressemble beaucoup.

Après des sandwichs chez mamie, encore sur la route. Avec mon grand frère, j'arrive à chanter "Afrique" et même "Tryo". Puis chez ma grande tante, on retrouve le reste de la famille. On se rend au cimétière. Mamie demande s'il lui restera une place... Les pompes funèbres sont très sérieux, très pro. Quel boulot...
Mon autre grand-mère est là. Elle m'énerve. Même là elle parle. Elle arrête pas, elle embête mon père, fait des réflexions...

Je pleure. Encore et toujours. Je suis fatiguée. Et de voir mes frères pleurer également me rend encore plus triste. Ma mère me prend la main, je dois assurer, savoir moi aussi être là pour elle. Mon grand frère d'1m98 qui a les yeux rouges et ne peut s'empêcher de verser encore des larmes alors qu'il y a moins d'une heure nous chantions, me perturbe.
Toute la journée nous enchaînons des moments sympas et des moments douloureux. Je culpabilise toujours. Puis me dis que la vie continue, me rassure comme je peux.

Retour chez ma tante. Boissons, café, pognes, gâteau aux noix, aux fruits... Les discussions vont bon train, on ne dirait pas que l'on quitte un enterrement. Sensation bizarre.
Je quitte tout ça pour aller jouer au loto avec mon deuxième frère. Mon grand-père en avait l'habitude. Cela lui permettait de sortir un peu, de le motiver. On en a profité pour regarder ce qu'il avait gagner... 2 euros... Nous n'avons rien gagné non plus ce vendredi.

Maintenant la page est tournée ? La vie reprend son cours ? J'arrive à dire "j'étais à l'enterrement de mon grand-père" sans ressentir cette aspiration dans mon ventre, comme si mes larmes partaient de là pour exploser à l'orée de mes yeux. Alors ?

Et ma grand-mère ? Il était sa mémoire, il lui permettait de garder la tête froide, se concentrer... Et elle ne peut plus rester seule dans cet appart'.

J'ai toujours du mal à imaginer son fauteuil vide... Je le revois lorsque je revenais du ski/surf, je le revois, lorsque j'étais enfant, nous faire la tête car on avait oublié de lui faire la bise du matin, ses mains fatiguées et déformées, son pas chancelant, Mamie s'énervait après lui, mais l'appeler quand même "chéri"... Qu'est-ce qu'ils ont pu s'engueuler tous les deux ! A table nous riions dans le dos de Mamie tous les dents, il souriait et soulevait les épaules. Me lâchait quelques mots en patois que je déchiffrais...


Papy Louis : 14 mai 1914 - 10 octobre 2006

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je crois que les mots sont dérisoires face au chagrin que tu peux ressentir surtout quand ceux-ci viennent de quelqu'un que tu ne connais pas mais je voulais te dire ma compassion devant ce que tu subis, ne crois pas que ce sont des mots que j’aligne comme ça pour faire joli car je suis tout à fait sincère. Je souhaitais aussi te dire que ton grand père est aussi une partie physique de toi comme tu restes une partie de lui outre cet héritage génétique il a du marquer de son empreinte ton intellect de ses propres valeurs qui ont du interagir avec les tiennes. Tout cela nul ne peut te l’enlever et à travers cet ensemble une part importante de lui vis encore à travers toi et sera toujours à tes cotés. Bon courage à toi.

Anonyme a dit…

très interessant.merci

sArAhAnne a dit…

merci onouris